Route de nuit en mer de Chine( 3ème prix au concours de nouvelles du cercle de la mer)

Publié le par legrekdekerlard

Le grek « Route de nuit en mer de Chine »


Mer de Chine, au large des Philippines entre Hong Kong et Singapour.


Trois heures moins le quart. Le matelot du quart finissant frappe à ma porte discrètement, l'entrebâille et me dit :


- Moins le quart, Lieutenant ,


- Moi : merci Didier .


Je suis prêt, rafraîchi par une toilette sommaire après cinq heures de banette. Je tire ma porte derrière moi et


monte lentement à la passerelle.


Dès la sortie de ma cabine, notre corne de brume se fait entendre par intermittence. Je m'accroche aux


rambardes et compense des jambes le fort mouvement, mélange de roulis et de tangage, du navire.


Sale temps ! Je pousse la porte d'accès, doublée d'un rideau noir, de la chambre de navigation et me dirige vers


la table à cartes.


Le lieutenant de quart me rejoint, enlève son ciré ruisselant' l' accroche à une patère, surplombant un bac de


sable et anxieux me dit :


-Brume très épaisse et très mauvaise mer. On a le vent au cul.


Le radar est plein d'échos, dont un gros sur bâbord , en contre bordier.


-A surveiller de près ! Il doit embarquer des paquets de mer par le gaillard!


- Prends du café, il est frais … Je t'ai porté notre position, estimée à douze noeuds. Le commandant m'a autorisé


à ralentir. J'ai prévenu la machine que nous pourrions être amenés à manoeuvrer à tout instant : le navire fatigue


et le typhon qui vient de passer sur Hong Kong nous suit.


J'espère qu'il va changer de route !... mais j'en doute: selon les « pilot charts », il devrait se diriger vers


l'Indonésie.


-Le “Pacha” reste à ta disposition, il ne peut pas se reposer, m'a dit-il dit , il y a une heure..


-Allez, je te quitte ! Bon quart si c'est possible.


Je prends un ciré sec et gagne l'aileron bâbord où mon matelot de veille, un grek, m'accueille d'un sourire


inquiet :


-Pas cadeau, hein Lieutenant ?


Je hausse les épaules :


-Faut faire avec ! Quelle purée, Guena, ! On se croirait à Pen Men une nuit coton si on ne dansait pas ainsi la


bourrée.


- Tu vois quelque chose ?


- Rien Lieutenant, les vagues se creusent, ça empire !


Je rentre dans la passerelle, observe longuement les échos du radar, puis j'ouvre la porte donnant sur l'aileron


tribord et dis au deuxième veilleur :


-Rentre, tu vas prendre la barre !


Je fais la manoeuvre pour passer du pilote automatique à barre à bras et dis au timonier :


- Route au sud, sud-ouest 195.


Il répète mon ordre clairement, puis commence à lutter pour compenser les coups de boutoirs qui viennent de


l'arrière. Ça va déjà mieux, l'amplitude des mouvements du navire diminue grâce à la maîtrise de l'homme de


barre, le timonier :


- Un bon celui-là, breton de Concarneau, je crois, il était pêcheur et a dû en baver plus d'une fois.


Soudain le chadburn se met à bouger d'avant en arrière, et se met sur STOP, la machine s'arrête. Je tends l'oreille


au « gueulophone » et entends des ordres criés. Je saisis le téléphone machine à manivelle et le fait sonner..


La voix du Second Mécanicien me parvient :


-Passerelle, on a le feu dans un cylindre, obligé de stopper pour l'isoler.


Le Commandant est à côté de moi, alerté par le silence machine. Il me dit :


-Essaie de mettre en cape, je descends à la machine.


Quand un gros pépin machine arrive à bord, on ne prend pas l'ascenseur, mais on s'accroche aux échelles de


descentes, étroites, vers la cabine de commandes machine, isolée phonétiquement et thermiquement.


La crainte d'une collision me tire vers l'aileron bâbord et sortant soudain de la brume, j'aperçois le gros contre


bordier qui fend la lame à faible allure, embarquant au maximum, le gaillard nu, rasé de tous ses apparaux,


mâtereaux, guindeau emmaillotés dans sac de cartahus enchevêtrés et pendant à l'écubier tribord , une partie du


château défoncée du même bord.


Il fait route pourtant mais se rapproche dangereusement.


Je pompe sur la sirène à main comme un fou, j'ai allumé la mâture, les coursives extérieures pour nous signaler,


ainsi que les feux d' impossibilité de manoeuvre ; il se rapproche cependant.


Je dis d'une voix calme à la VHF :


-Mayday, mayday, ship on my portside, you're running a collision way. I got fire on board, please, change your


course to port.


Et je recommence plusieurs fois.


Ce navire est un porte-conteneurs d'un armement norvégien. Je vois sa coque bleue et n'ai pas à lire son nom


pour reconnaître sa compagnie.


Je recommence en VHF : Mayday, mayday, M ship, please change your course to port, you're running a


collision way, to me !


Le Commandant qui fait la navette entre machine et passerelle, me fait signe de continuer.


Il a fait réveiller le radio, et ce dernier tente de joindre Singapour. Le bosco vient vers nous, il a pris l'initiative


de réveiller l'équipage pont travaillant à la journée , et demande des ordres.


Le commandant l'envoie vérifier le saisissage de la pontée.


Soudain le porte-conteneur s'écarte de nous, prend des tours rapidement. Je devine qu'il va mettre en cape


comme nous.


L'oeil du cyclone se rapprochant, la manoeuvre est risquée car il faut se mettre travers à la lame un moment et


l'on risque de chavirer…


Le temps a passé vite, le second capitaine me relève. Pas de repos pour moi, je vais à la machine et offre mes


services au second mécanicien. Le chef est dans la cabine insonorisée, surveillant à distance les groupes


électrogènes : pas de courant serait nous mettre dans une situation encore pire !


Le second me fait prendre une combinaison de mécano, des gants pare-feu et nous enlevons la culasse du


cylindre N°3 qui se balance dangereusement à bout de croc des chaînes de notre palan.


L'alimentation du cylindre coupée, le feu s'est éteint mais la culasse refroidie progressivement reste très chaude.


Dehors, le jour s'est levé, je suis mort de fatigue mais pas mécontent, nous progressons, on va continuer mais


sur cinq pattes !


Le Second mécano, me prend l'épaule et me signifie qu'il faut aller me reposer. Combinaison et gants retirés, je


quitte la machine, et monte à la passerelle.


Nous bougeons moins. Le Commandant est avec l'Officier de quart : le Second Capitaine. Il me dit :


-Le cyclone a pris une route plus Est, vers Philippines et Indonésie. Allez vous doucher lieutenant et vous


restaurer ensuite ! Je crois que le cuisinier a réussi à nous faire un repas chaud, le maître d'hôtel a sorti les


violons.


- Bien Commandant ! Avez-vous eu Singapour ?


- Oui Lieutenant, vous me donnerez un calcul de nouvel E.T.A. après vous être reposé un peu. Le ciel s'est


nettoyé, si vous pouvez faire quelques droites de hauteur et une méridienne avec le lieutenant de 11H à 15


heures, ce serait parfait !


-Bien reçu, Commandant: la navigation astrale est mon dada, vous le savez ?


- Oui Lieutenant, je sais, et “trop fort n'a jamais manqué” , n'est ce pas !


- C'est sûr Commandant !


Tout est dit ! Je rentre dans ma cabine, où mes nerfs lâchent brusquement. Angoisses, peur, fatigues peuvent


m'écraser maintenant, porte fermée, sous la douche qui calme les tremblements….

Publié dans Nouvelles

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